Quel délai de prescription pour l’action en responsabilité du bénéficiaire acceptant d’un contrat d’assurance vie contre l’assureur ayant procédé à un rachat total?
La détermination du délai de prescription applicable en droit des assurances présente des spécificités qu’un arrêt de la Cour de cassation du 18/09/25 a particulièrement mis en exergue dans un litige relatif à l’assurance vie ( Cass 2ème civ. 18/09/25 n°24-10.511 ).
Dans cette affaire, Mme S. a souscrit en 2005 un contrat d’assurance vie et désigné comme bénéficiaire sa fille Mme R.
Cette dernière a accepté en avril 2008 le bénéfice du contrat, acceptation qui, en application de l’article L 132-9 du code des assurances dans sa version applicable, a nécessité la signature d’un avenant signé de l’entreprise d’assurance, du stipulant et du bénéficiaire ou d’un acte sous seing privé signé du stipulant et du bénéficiaire.
Cette acceptation avait pour conséquence que pendant la durée du contrat, Mme S. ne pouvait plus exercer sa faculté de rachat sans l’accord de sa fille.
Le 10/04/2015, la compagnie d’assurance a reçu un courrier par lequel Mme R. renonçait à son statut de bénéficiaire et autorisait sa mère à procéder au rachat total du contrat.
Mme S. a demandé le rachat total de son contrat le 15/04/2015, demande à laquelle l’assureur a fait droit compte tenu du courrier du 10/04/2015.
Le 03/07/2015, Mme R. a déposé plainte contre son frère pour faux et usage de faux pour avoir établi le courrier du 10/04/2015 qui l’a privée du bénéfice du contrat en permettant à leur mère de procéder à un rachat total.
Le frère a été condamné le 17/05/2017 pour faux et usage de faux et Mme S. est décédée le 09/10/2019.
Le 30 juin 2021, Mme R. a assigné l’assureur devant le Tribunal Judiciaire au motif qu’il aurait commis une faute en procédant au rachat du contrat sans s’assurer que l’accord du bénéficiaire acceptant émanait bien de ce dernier.
De ce litige aux circonstances révélatrices de la virulence des conflits familiaux pouvant exister autour du bénéfice d’un contrat d’assurance vie, est née une problématique intéressante quant à la détermination du délai de prescription applicable à l’action de la fille de l’assurée.
La Cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 11/10/2023, déclaré l’action de Mme R. prescrite en application de la prescription quinquennale de droit commun, en considérant qu’elle avait connaissance dès le dépôt de sa plainte le 03/07/2015 du fait dommageable dont elle était victime, que la prescription quinquennale a donc couru à compter de cette date et était acquise lorsque Mme R. a agi contre l’assureur le 30/06/2021.
Mme R a formé un pourvoi en faisant valoir que son action était soumise à la prescription décennale prévue par l’article L114-1 al 4 du code des assurances qui fixe à 10 ans à compter de l’évènement qui y donne naissance le délai de prescription de l’action dérivant du contrat d’assurance dans les contrats d’assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur.
Son pourvoi est rejeté.
La Cour de cassation retient qu’il résulte de l’article 1382 devenu 1240 du code civil que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Elle considère qu’une action indemnitaire exercée contre un assureur par un tiers au contrat d’assurance vie, ce tiers fut il le bénéficiaire, n’est pas soumise à l’article L114-1 al.4 du code des assurances mais relève de la prescription quinquennale de droit commun.
La Cour de cassation retient donc que la Cour d’appel a exactement considéré que l’action engagée par Mme R. à l’encontre de l’assureur était irrecevable car prescrite.
Mme R., bien que bénéficiaire du contrat, est donc considérée comme tiers audit contrat et son action indemnitaire fondée sur une faute commise par l’assureur lors de l’exécution du contrat relève de la prescription de droit commun.
En dépit de la spécificité des faits de l’espèce, cet arrêt illustre la complexité des règles relatives à la prescription qui peuvent trouver à s’appliquer en matière d’assurance vie.
Par ailleurs, bien que le fond de l’affaire n’ait pas été évoqué du fait de la prescription de l’action, cet arrêt souligne à quel point l’assureur peut lui-même être la cible de manœuvres visant à surprendre sa vigilance par des falsifications difficilement détectables.
Pour aller plus loin :
– L’essentiel droit des assurances (LEDA) Nov 2025 n°DAS202v8
– RGDA n°11 6 Nov 2025 p.24 – RGA202n6



